Petite histoire d'une grande vie
Sa carrière artistique a débuté alors qu'elle n'était âgée
que de 13 ans : elle a remporté le premier prix des Jeunes talents
Catelli en 1938 et
connut un grand succès avec la chanson française « Y a pas de cerises en
Alaska »
en 1942. Sa spécialité
est l'imitation de chanteuses françaises tel que Mistinguett ou Joséphine
Baker. Ensuite, tout a déboulé. Animation radiophonique de l'émission
"Vie de famille", tournée avec la troupe de Jean Grimaldi,
performances sur scène en chanson, spectacles à Broadway. En 1942, elle épouse un danseur reconnu : Jean Paul. Deux filles naissent
de ce mariage.
En 1943 et 1945, elle se
produit au cabaret Old
Europe à New York.
Elle est élue "Miss Radio" en 1950 et "Miss Music-hall" un peu plus
tard. Au début des années 50, elle part faire la tournée des bases
d'armées en Corée et au Japon. En 1955, elle effectue un retour à la radio, sur les ondes de
CKVL. Puis c'est au tour de la télé à pouvoir "profiter" d'elle. Elle se fait entendre à la télévision de la SRC dans « Feux de joie » (1955),
« Music Hall », « Porte ouverte », et « Miss Music-hall » (1961). Connue dès lors sous ce nom, elle se
produit dans de
nombreux spectacles de Music-hall, entre autres à la Place des Arts et au forum de Montréal (1964),
puis à la Comédie-Canadienne pendant deux ans.
Comme si elle n'avait pas assez d'activités pour s'occuper, Muriel écrit
aussi des chansons, dont les plus connues sont "Nos vieilles maisons"
et "La chanson du Québec". De 1957 à 1961,
elle se présente à plusieurs concours de chansons amateures et elle enregistre
trois albums de 1961 à 1963. L'inépuisable "Miss" remporte, en 1960
et en 1961, le trophée
de la meilleure chanteuse populaire au Gala des publications Péladeau.
La chanteuse (ou comédienne ou animatrice...) devient
ensuite productrice de grandes revues de Music-Hall. À partir de 1965, elle monte de nombreuses revues
à grands déploiements. Elle essaie
aussi le cinéma, en jouant dans un film de Marcel Lefebvre. Puis, STOP!
À partir de 1971, Muriel Millard se consacre corps et âmes à la
peinture.
ENTREVUE
par
Karine Charbonneau - pour Tempo
La
deuxième vie de Muriel
Des cataractes. Voilà bien la seule chose qui pouvait l'arrêter!
"J'ai pris une année sabbatique parce que je vais me faire opérer. Ça me
permet de me reposer." Le ton laisse transparaître un effort de
raisonnement simultané à la prononciation des mots. Pour une femme qui a
fonctionné à 100 milles à l'heure de 13 à 77 ans, comme Muriel Millard, le
mot "repos" sonne discordant. Chanteuse, comédienne, actrice,
metteure en scène, productrice et peintre, rendez-vous avec un feu roulant de
passions.
L'acharnement est la clé du succès
"Il y a beaucoup de chance dans ma réussite, mais surtout beaucoup
de travail. Pour faire du spectacle, il faut aimer la misère et même en
redemander." Le ton est simultanément serein et nostalgique. "Quand
on veut vraiment quelque chose, on prend le temps qu'il faut pour réussir. Le
travail devient alors un loisir. Et puis la misère, ça donne de l'expérience.
C'est ce qui nous aide à aller toujours plus loin."
Bien que ponctuée d'une multitude de bons moments, la vie de l'artiste
n'a pas toujours été facile. Si les misères du métier lui avaient donné un
avant-goût de la signification du mot "affliction", ce n'était rien
à côté d'une décision déchirante qu'elle a dû prendre à la fin des années
60. "J'adorais le théâtre! J'étais incapable de m'imaginer faire autre
chose. Mais un concours de circonstances a fait que j'ai dû arrêter".
Malgré sa volubilité naturelle (témoignage physique de son énergie constante
et de sa détermination sans limites?) elle reste plutôt muette sur les raisons
à l'origine de son changement de vocation... " Mon époux était très
malade. Et puis, je n'avais plus la possibilité de faire des spectacles de
qualité. Je suis perfectionniste et très exigeante. Plutôt que de rester au
théâtre et faire moins bien, j'ai décidé de faire mieux ailleurs."
Cette dernière phrase impose le silence. Simplement impensable de revenir à la
charge. "Ça a été dur de m'arracher du théâtre. J'en ai eu pour au
moins deux ans à m'en remettre". Doucement, inconsciemment, c'est la
peinture qui l'a sauvée.
Pourquoi la peinture?
Fin des années 60. Son époux, Jean Paul, tombe très malade et doit
passer la saison hivernale aux États-Unis. "Je m'ennuyais terriblement
l'après-midi". Son mari lui suggère de se trouver un hobby. Elle choisit
la peinture, même si elle n'a jamais tenu un pinceau entre ses doigts. Dès le
premier essai, elle tombe face à face avec l'angoisse de la "toile
blanche". "Qu'est-ce que je te dessine?", a-t-elle alors demandé
- ou plutôt imploré - à son mari. Il voulait un clown, pour égayer l'entrée
de son école de danse.
Jean Paul revient à la maison, un soir, en lui annonçant qu'un
journaliste veut acheter la toile. "Donne-la lui, voyons! Ça ne vaut
rien.", a-t-elle répliqué. Le journaliste obtient finalement le tableau
pour la symbolique somme de 10$. Muriel est ensuite submergée de
"commandes".
Un jour, Claude Goyer, de la Galerie d'art de Laval, cogne à sa porte.
"Il voulait faire une exposition. J'ai relevé le défi, et toutes les
toiles se sont vendues!" 50$ chacune. C'est quand même minime, considérant
qu'aujourd'hui, un "Muriel Millard" se détaille autour de 1500$!
Passionnée sous toutes ses coutures
Lorsque Muriel parle de son époux, sa voix change et devient harmonieuse,
amoureuse, passionnée. Quand elle parle de SES clowns, le même phénomène se
produit. "Je n'invente pas le clown, je fais le vrai clown", dit-elle
solennellement. Et elle ne fait pas les choses à moitié. "J'ai appris
toute l'histoire des clowns pour pouvoir les rendre vivants.".
Le premier clown peint par Muriel était un Auguste (le clown triste),
parce qu'à l'époque où elle l'a peint, elle avait le coeur à la flotte. Ses
clowns reflètent presque toujours ses états d'âmes. Comme tout artiste, la
peintre laisse un peu d'elle dans chacune de ses oeuvres.
Une panoplie d'avantages
Avec du recul, Muriel Millard ne regrette pas d'avoir choisi la peinture
au détriment du théâtre. Il y a plusieurs avantages, comme la possibilité de
faire la navette librement entre les États-Unis et le Québec tous les six
mois. Ça lui permet aussi d'être son propre patron, ce qui est impossible au
théâtre, à moins de faire de la mise en scène. "Il faut quand même se
discipliner, sinon, on manque de toiles pour nos expositions et on perd la
main." Muriel Millard insère donc sa passion dans un horaire ressemblant
au "9 à 5" conventionnel. Avec une exposition de 100 toiles par année,
il faut en produire du matériel. Surtout quand on sait que tous les morceaux se
vendront comme des petits pains chauds!
Il ne reste qu'à souhaiter que tout aille pour le mieux lors de la délicate
opération qu'elle subira aux yeux. Question qu'elle puisse retrouver ses clowns
le plus vite possible!
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